Cet article rapporte les obstacles à parler d’euthanasie, les émotions exprimées par les producteurs laitiers en lien avec le processus d’euthanasie de leurs animaux ainsi que les impacts psychologiques de cette pratique sur les producteurs, et propose des pistes de solutions pour aider ces derniers. Ce projet a été financé par les Producteurs laitiers du Canada, les Producteurs de lait du Québec et les Dairy Farmers of Ontario.

Ce projet de recherche visait à recueillir de l’information au moyen d’un sondage électronique ouvert à tous les producteurs laitiers canadiens entre mars et mai 2019. Au total, 476 producteurs laitiers ont commencé à remplir le sondage, et 325 l’ont terminé. Les participants provenaient du Québec (n = 242; 51 %), de l’Ontario (n = 192; 40 %) et des provinces de l’Ouest (n = 42; 9 % [Colombie-Britannique : n = 26; 6 %; Saskatchewan : n = 15; 3 %; Manitoba : n = 1; 0,2 %]). Aucun participant n’a rapporté provenir de l’Alberta ou des Maritimes.

Émotions douloureuses et sentiments complexes en lien avec l’euthanasie

Les participants qui étaient mal à l’aise avec la responsabilité de mettre un terme à la vie de leurs animaux ont rapporté ressentir des émotions douloureuses ou des sentiments complexes plus souvent que ceux qui étaient à l’aise avec cette responsabilité. Les femmes étaient plus susceptibles de rapporter au moins une émotion douloureuse ou un sentiment complexe que les hommes. C’était également le cas pour les participants de plus petites fermes (75 kilogrammes de quota ou moins) comparativement aux participants de plus grandes fermes (plus de 75 kilogrammes de quota). Dans les plus petites fermes laitières, comparativement aux plus grandes, il est plus difficile de partager la responsabilité de l’euthanasie avec une autre personne plus à l’aise avec cette tâche, ce qui accroît la pression sur ces producteurs laitiers.

Bien que la majorité des répondants considéraient que ni eux ni leurs employés n’avaient de symptômes psychologiques liés à l’euthanasie, une très forte proportion de producteurs ressentaient entre une et deux émotions douloureuses. Parmi ces émotions, les plus fréquentes étaient, par ordre d’importance, l’anxiété, le stress, la tristesse, l’irritabilité, la culpabilité et le dégoût avant ou après avoir effectué une euthanasie. Ces émotions douloureuses ou sentiments complexes pourraient être associés au fait de ne pas avoir pris la décision d’euthanasier plus rapidement, mais aussi à un manque de confiance envers les outils ou les aptitudes à procéder à l’euthanasie adéquatement.

Ces conclusions indiquent clairement que l’euthanasie est un sujet très sensible ayant des conséquences psychologiques pour les propriétaires et leurs employés et qu’il est important de ne pas banaliser l’acte de l’euthanasie réalisé sur les animaux des fermes laitières. Ces résultats mettent aussi en lumière que les producteurs sont sensibles et soucieux de la santé et du bien-être de leurs animaux. Ces conclusions illustrent également que l’euthanasie demeure souvent une décision difficile à prendre pour les producteurs laitiers et qu’il est nécessaire, plus que jamais, de les soutenir dans la gestion de l’euthanasie de leurs animaux à la ferme.

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Recommandations

Il est important de reconnaître les besoins des producteurs afin d’offrir des solutions qui pourront être intégrées efficacement sur les fermes. Par exemple, il pourrait être opportun d’améliorer l’offre des services vétérinaires pour euthanasier les animaux à coûts raisonnables chez les producteurs demandant ce service. De la formation sur les méthodes d’euthanasie pourrait également être offerte aux producteurs par l’entremise de leur médecin vétérinaire. Les médecins vétérinaires pourraient offrir des visites d’accompagnement pour aider les producteurs dans leur prise de décision ou pour les aider à apprendre la bonne méthode d’euthanasie applicable à la ferme. Un soutien téléphonique ou même virtuel personnalisé pourrait aussi être offert. Il faut comprendre que parfois, les besoins des producteurs pourraient être d’ordre relationnel, comme le besoin de communiquer avec d’autres producteurs, ou de l’ordre de la « survie », comme de prendre un congé de leurs tâches et de leurs responsabilités.

Une assistance sous forme de formation en ligne et pratique s’est révélée bénéfique pour les producteurs et les gens qui prennent soin des animaux. Les avantages de la formation pourraient être encore plus grands pour les producteurs qui ne sont pas à l’aise avec la responsabilité de mettre un terme à la vie de leurs animaux, y compris pour les femmes et les propriétaires de petites fermes, qui sont plus susceptibles de rapporter des émotions douloureuses et des sensations complexes. 

Offrir un soutien aux producteurs laitiers en lien avec l’euthanasie et la souffrance des animaux au moyen de services vétérinaires et d’initiatives de l’industrie pourrait aider à réduire ou à alléger les émotions douloureuses et les sentiments complexes générés par l’euthanasie. 

Il sera nécessaire de coordonner les efforts entre l’industrie laitière et les médecins vétérinaires pour trouver des solutions pérennes et satisfaisantes pour tous. Une discussion ouverte et axée sur des solutions doit être entreprise dès que possible entre le producteur laitier et son médecin vétérinaire pour améliorer la gestion de l’euthanasie des bovins laitiers à la ferme.  

Luc DesCôteaux, Marjolaine Rousseau, Martine Denicourt, Marianne Villettaz Robichaud de la Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal, Québec; José Denis-Robichaud, chercheur indépendant, Amqui, Québec; et Anne-Marie Lamothe, psychologue et chercheuse indépendante, Terrebonne, Québec.

Les Producteurs laitiers du Canada (PLC) investissent en recherche scientifique pour favoriser l’innovation dans le secteur laitier canadien. Les PLC soutiennent des initiatives de recherche qui profitent à l’ensemble des producteurs laitiers canadiens et travaillent en collaboration avec leurs membres et autres partenaires du secteur afin d’aborder les priorités établies dans la stratégie nationale de recherche laitière. Les objectifs de cette stratégie visent à accroître l’efficacité et la durabilité des fermes, améliorer les pratiques relatives à la santé, au soin et au bien-être des animaux ainsi qu’à renforcer le rôle des produits laitiers dans la nutrition et la santé humaines et les régimes alimentaires durables. Visitez le producteurslaitiersducanada.ca/fr/recherche-laitiere pour plus d’informations.


Principaux obstacles et impacts psychologiques associés à l’euthanasie à la ferme pour les producteurs laitiers canadiens

  • 31 % des répondants ont mentionné qu’il était difficile de parler d’euthanasie et plus spécifiquement de la mort de leurs animaux, d’exprimer leurs valeurs et leurs responsabilités quant à l’euthanasie, de discuter de leurs méthodes et d’amorcer la discussion avec leur médecin vétérinaire.

  • Dans près de 50 % des cas, les malaises ressentis par les producteurs laitiers étaient des difficultés émotionnelles à volontairement mettre un terme à la vie de leurs animaux et à procéder à l’euthanasie de leurs animaux, ou les producteurs gardaient de mauvais souvenirs associés à l’euthanasie.

  • 26 % des malaises étaient associés à la manipulation d’armes à feu ou à des accidents qui pourraient survenir suite à leur utilisation. 

  • 13 % des malaises étaient attribuables à la crainte de ne pas réussir l’euthanasie au premier essai.

  • Les propriétaires de fermes laitières ayant 75 kilogrammes de quota et moins étaient deux fois plus susceptibles d’avoir des inquiétudes ou malaises en lien avec l’euthanasie, comparativement aux propriétaires de plus grandes fermes.

  • Les femmes ont exprimé quatre fois plus souvent que les hommes avoir des inquiétudes ou des malaises en lien avec l’euthanasie.

  • 25 % des répondants ont rapporté mal ou très mal vivre avec la responsabilité de pouvoir mettre un terme à la vie de leurs animaux, et 20 % perçoivent également que les autres personnes responsables d’effectuer des euthanasies sur leur ferme sont mal à l’aise avec la pratique de cet acte sur la ferme.

  • Une forte proportion de producteurs ressentait entre un et deux émotions douloureuses ou sentiments complexes en lien avec l’euthanasie de leurs animaux. Parmi ces émotions, les plus fréquentes étaient, par ordre d’importance, l’anxiété, le stress, la culpabilité, la tristesse, l’irritabilité et le dégoût avant ou après avoir effectué une euthanasie.

  • Les producteurs qui ont exprimé avoir besoin d’aide pour apaiser leurs inquiétudes ou leurs malaises souhaitaient une formation pour améliorer leurs connaissances et leurs compétences, et la mise en place d’un protocole (de type arbre de décision) avec l’aide d’un médecin vétérinaire afin de réduire l’anxiété générée par la prise d’une décision aussi importante.